Silence coupable ou « erreur d’appréciation »? Le cardinal Philippe Barbarin va savoir ce jeudi si le tribunal de Lyon le condamne pour ne pas avoir dénoncé les agressions pédophiles d’un prêtre de son diocèse.
L’audience de début janvier avait marqué les esprits, tant le prélat incarne depuis trois ans en France la crise de l’Église face à la pédophilie, qui vient de faire l’objet d’un sommet inédit de la hiérarchie catholique au Vatican.
A l’issue des débats, la procureure Charlotte Trabut n’avait pas requis de peine à l’encontre de l’archevêque, ni des cinq anciens membres du diocèse poursuivis avec lui, tout en assurant de son impartialité: « le ministère public ne s’oppose pas aux parties civiles, pas plus qu’il ne soutient mordicus les prévenus ».
Une position délicate à tenir après les témoignages, crus et poignants, livrés à la barre par d’anciens scouts à l’origine de l’affaire. Mais un avis conforme à celui du parquet, qui avait classé sans suite une première enquête en 2016. Les six accusés encourent trois ans de prison et 45.000 euros d’amende.
Soutenus par l’association de victimes « La Parole libérée », neuf hommes avaient d’abord accusé le père Bernard Preynat d’avoir abusé d’eux – des faits pour lesquels ce dernier n’a pas encore été jugé – avant de porter plainte contre ceux qui n’ont rien dit des agissements du prêtre.
Faute de poursuites, ils ont lancé en 2017 une procédure de citation directe devant le tribunal, qui leur garantissait un procès pour la première fois depuis la révélation de l’affaire fin 2015.
François Devaux, co-fondateur de « La Parole libérée », dément à l’AFP tout « acharnement contre la personne » de Mgr Barbarin, mais il lui paraît « important que ce débat ait eu lieu au sein d’un tribunal », puisque « le pape ne prend pas ses responsabilités pour appliquer la tolérance zéro qu’il prône depuis des années » sur les agressions sexuelles dans l’Eglise.
Conduit de main de maître il y a deux mois par la présidente de la 17e chambre correctionnelle Brigitte Vernay, le procès a été à la hauteur des enjeux. Et une épreuve pour les mis en cause, à commencer par Mgr Barbarin, traité de « menteur » par un avocat des parties civiles.
« Je n’ai jamais cherché à cacher, encore moins à couvrir ces faits horribles », a assuré au tribunal le prélat de 68 ans, expliquant n’avoir appris les agressions reprochées au père Preynat qu’en 2014, quand une victime se confia à lui. Pour Me Jean Boudot cependant, le cardinal était au courant depuis 2010 au moins, date à laquelle il s’était entretenu avec le prêtre sur les « rumeurs » qui couraient à son sujet.
– « L’Eglise s’en souviendra » –
En savait-il assez, à l’époque, pour le dénoncer ? L’archevêque a soutenu que non, ses accusateurs sont convaincus du contraire et la procureure a semblé leur donner raison avant de faire valoir la prescription. Analyse contestée par la partie civile, pour laquelle rien n’est prescrit tant que la justice n’est pas saisie.
Sur les faits reprochés aux mis en cause à partir de 2014, période non prescrite, les points de vue divergent aussi.
Pour le parquet, « l’omission de porter secours » reprochée à deux d’entre eux présuppose un péril « imminent et constant », alors que les abus imputés au père Preynat sont antérieurs à 1991. Quant à la « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans », le Code pénal la range parmi les délits d’entrave à la justice, dont « l’intentionnalité » ne serait pas établie.
Aux yeux des plaignants, elle est pourtant manifeste dans un échange de mails en 2015 entre Mgr Barbarin et le Vatican, qui lui conseilla d’écarter le prêtre incriminé « tout en évitant le scandale public »: consigne suivie à la lettre par le cardinal, de son propre aveu.
La défense a pour sa part plaidé la relaxe tout en se disant bouleversée par la douleur des victimes. « Mais la douleur n’est pas le droit », a tonné Me Jean-Félix Luciani, avocat du primat des Gaules.