Le 7 avril 1988, à l’aube de la présidentielle, paraissait dans les journaux une «lettre à tous les Français » de François Mitterrand, président sortant essoré par une cohabitation ardue avec Jacques Chirac, où il dressait son bilan et exposait son programme pour une « France unie ». Une première sous la Ve République. Vingt-quatre ans plus tard, le 5 avril 2012, Nicolas Sarkozy renouvelait l’exercice avec une «lettre au peuple français» distribuée à 6 millions d’exemplaires lors d’une opération militante de l’UMP. Les deux avaient rédigé quelques mots manuscrits. Avec des fortunes diverses : le premier a été réélu, pas le second.
Ces jours prochains, comme il l’a annoncé lundi soir, c’est un courrier d’Emmanuel Macron que les citoyens recevront pour leur délivrer le «mode d’emploi» du grand débat national, qu’il «considère comme fondamental pour la suite de son quinquennat», selon un proche. « La lettre aux Français, un grand classique quand on entre en campagne ! », sourit un macroniste.
«Les paroles s’envolent et les écrits restent»
S’il a choisi de s’inscrire dans les pas de ses deux prédécesseurs en prenant la plume à son tour, c’est pour tenter de renouer un lien direct avec le pays à un moment de grande impopularité. Comme Sarkozy qui voulait, avec sa missive, s’adresser «sans aucun intermédiaire» aux électeurs parce que «l’écrit demeure et engage», ou Mitterrand qui entendait leur parler «comme il arrive le soir, autour de la table, en famille». L’idée a séduit Macron, qui s’est toujours rêvé écrivain. «La bonne idée, c’est de donner un nouveau rendez-vous aux Français par écrit, parce que les paroles s’envolent et que les écrits restent», salue le publicitaire Jacques Séguéla, qui avait inspiré l’ancien président socialiste. «Une lettre, c’est un objet. On prend le temps de se poser sur un courrier papier. Cela n’a rien à voir avec le fait de regarder un écran de télévision, avec un discours suivi d’un flot de commentaire», approuve Stanislas Guerini, patron de La République en marche (LREM).
L’idée a germé il y a quelques jours lors d’une réunion du chef de l’Etat avec des conseillers, durant laquelle a été évoquée l’hypothèse d’une lettre adressée par Bercy aux foyers fiscaux touchant le smic pour leur détailler les mesures annoncées par Macron le 10 décembre. Et ce, sur le modèle des courriers envoyés aux contribuables par Gérald Darmanin sur la mise en oeuvre du prélèvement à la source. C’est le président lui-même qui a décidé in extremis de rajouter cette idée de lettre aux Français dans son discours de voeux. «Il veut expliquer très précisément ce qu’il attend du grand débat (lancé pour répondre à la colère des Gilets jaunes, NDLR), la manière dont cela va se passer et dont il souhaite que chacun y prenne part», indique un conseiller.
Eviter plusieurs écueils
Comment cette lettre sera-t-elle diffusée ? Mystère à ce stade. L’Elysée sait qu’il faut éviter plusieurs écueils. D’abord, ne pas être accusé de plomber les finances publiques, alors que certains internautes s’agacent déjà que l’initiative coûte «un pognon de dingue». «On pourrait imaginer que LREM prenne en charge le coût de la distribution», suggère un macroniste. « Il ne faut pas donner le sentiment que le parti capture le débat», écarte Stanislas Guerini. Autre risque : en 2003, Jean-Pierre Raffarin avait envoyé un courrier dans toutes les boîtes aux lettres, par pli non affranchi, pour défendre sa réforme très décriée des retraites, pour un coût de 3 M€. Las, la lettre avait été boycottée par certains facteurs syndiqués CGT.
La partie que joue ici Macron est loin d’être gagnée d’avance. En témoigne cette observation d’un familier du pouvoir : «Les gens pensent tellement que tout est de la com’ que ça va être difficile. Il provoque du rejet…»