Le candidat de l’opposition Ekrem Imamoglu a réédité dimanche sa victoire aux municipales d’Istanbul après l’annulation du premier scrutin, infligeant au président turc Recep Tayyip Erdogan son pire revers électoral en 17 ans.
C’est une gifle cinglante que les Stambouliotes viennent d’infliger au président turc, Recep Tayyip Erdogan : ce dimanche, ils ont (encore) choisi pour nouveau maire Ekrem Imamoglu, le candidat de l’opposition, qui était inconnu du grand public il y a six mois. Jamais une élection municipale en Turquie n’était devenue à ce point un enjeu national. Car selon l’adage, qui contrôle Istanbul contrôle le pays. Pour Erdogan, qui en fut l’édile de 1994 à 1998, cette défaite annonce donc des jours difficiles.
Nul ne s’y trompait ces derniers mois. Ce scrutin avait valeur de plébiscite sur la personne du Président. A travers Binali Yildirim, le candidat du Parti de la justice et du développement (AKP, conservateur, autoritaire) et ancien Premier ministre, qui a reconnu sa défaite, c’était pour ou contre Erdogan que les électeurs étaient appelés à s’exprimer. Le désaveu est clair. L’AKP et son président ont surestimé leurs forces, et ce malgré les moyens extraordinaires mis à leur disposition ainsi que le contrôle de la quasi-totalité des médias.
Ekrem Imamoglu avait déjà été élu maire de la métropole de 16 millions d’habitants le 31 mars, avec un peu plus de 13 000 voix d’avance, soit moins de 0,3 % des suffrages. L’AKP avait refusé d’admettre sa défaite et obtenu, début mai, du Haut Conseil électoral, l’annulation des résultats sous des prétextes très contestables. Cette décision a indigné bien au-delà des sympathisants d’Imamoglu. Moins de deux mois plus tard, celui-ci creuse donc un écart impressionnant en devançant son concurrent de plus de 700 000 voix.
Normalisation de la vie politique
La population semble avoir exprimé sa désapprobation face au mépris du régime vis-à-vis du processus électoral et son incapacité à apporter des réponses aux défis actuels, de la crise économique aux restrictions des libertés publiques, en passant par l’ultranationalisme galopant. La claque infligée à Erdogan et au régime traduit aussi la lassitude après une série ininterrompue d’élections (huit depuis 2014), d’interventions militaires en Turquie et en Syrie et d’attentats meurtriers. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002, l’opposition a su s’unifier, obtenant notamment le soutien du parti pro-kurde HDP (gauche).
Imamoglu est parvenu à ringardiser la rhétorique de polarisation qui faisait le succès de l’AKP et a prôné une normalisation de la vie politique. Son slogan «Her Sey Güzel Olacak» («Tout ira bien») est devenu le cri de ralliement d’une opposition laminée qui, jusque-là, semblait avoir perdu espoir. Bien que l’assemblée municipale et la majorité des arrondissements soient contrôlées par l’AKP, Imamoglu se retrouve en position de force. «Si nous observons qu’il y a de l’obstruction politique, nous partagerons cela avec nos citoyens», a-t-il annoncé après sa victoire. Erdogan n’a face à lui que de dangereuses options. Laisser Imamoglu gouverner en paix pourrait faire de lui un sérieux rival pour la présidentielle de 2023. Lui mettre des bâtons dans les roues reviendrait à le victimiser davantage et rehausser son statut de nouveau héros de l’opposition.