La justice irakienne a condamné neuf Français appartenant au groupe Etat islamique à la peine capitale. Pour ces avocats, l’article 66-1 de la Constitution interdisant la peine de mort « ne souffre d’aucune dérogation, pas même en matière de terrorisme ».
Après les condamnations à mort de neuf Français en Irak pour leur appartenance au groupe jihadiste Etat islamique, 44 avocats dénoncent, dans une tribune publiée sur franceinfo.fr, à l’initiative de William Bourdon et Vincent Brengarth, l’inaction de l’Etat en la matière. Ils assurent que l’exécution de ces peines ou même autoriser leur prononcé est « contraire à notre ordre public et reviendrait à répondre à la barbarie par une peine que nous prohibons catégoriquement ». Ils s’expriment ici librement.
De jeunes Français sont menacés d’être pendus. Ce risque n’est pas dérisoire et ce ne sont pas les mots récents de notre ministre des Affaires étrangères, monsieur Jean-Yves Le Drian, rappelant son souhait qu’ils ne soient pas condamnés à mort et exécutés, qui peuvent aujourd’hui rassurer qui que ce soit. Son argument d’autorité selon lequel ils auraient été jugés de façon équitable ne peut convaincre personne.
La France a été prise au piège d’un discours martelé depuis presque deux ans. Notre pays fera non seulement tout pour éviter que nos ressortissants reviennent en France mais fera tout pour qu’ils soient jugés sur place. Et ce quel que soit le caractère inéquitable des procédures dont ils feraient l’objet et quel que soit, on le sait maintenant, le risque d’exécution qu’ils pourraient encourir.
La France n’a pas voulu rapatrier ses ressortissants et a préféré les exposer à la peine de mort et à des procès expéditifs dont nous savons qu’ils méconnaissent gravement les droits de la défense. Les signataires de la tribune
L’effet mécanique de ce cynisme d’Etat a été de potentialiser le risque que certains de nos ressortissants soient exécutés. Comment ? En suspendant l’exécution de nos ressortissants à l’intensité des pressions que la France souhaitera mettre en œuvre dans ses relations bilatérales opaques avec l’Irak.
« Un traitement inhumain et dégradant »
La France a été très sévèrement touchée par les attentats et il est évidemment une exigence de tout entreprendre pour éviter qu’ils ne se reproduisent. Cela ne doit cependant pas se faire au prix de l’Etat de droit et sans nulle garantie d’efficacité voire en suscitant, au contraire, des effets contraires. La peine de mort est un traitement inhumain et dégradant. L’Association française des victimes du terrorisme a exprimé son vœu pour que les jihadistes soient jugés et condamnés dans le respect de leurs droits fondamentaux et a marqué son hostilité contre la peine de mort.
Exécuter ces peines de mort ou même en permettre le prononcé est donc contraire à notre ordre public et reviendrait à répondre à la barbarie par une peine que nous prohibons catégoriquement. Nous rappelons notamment que nos juridictions refusent les demandes d’extradition lorsqu’il existe un risque pour la personne dont la remise est demandée d’être condamnée à la peine capitale par la justice de l’Etat requérant.
L’article 66-1 de la Constitution selon lequel « nul ne peut être condamné à la peine de mort » ne souffre d’aucune dérogation, pas même en matière de terrorisme. En application du protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme, ratifié par la France, la peine de mort est abolie en toutes circonstances. C’est l’état du droit avec lequel nous voudrions rompre.
Cela serait un immense déshonneur pour notre pays que de rendre possibles ces condamnations à mort.
Les signataires de la tribune
« Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne », disait Victor Hugo.
« Une résignation coupable »
On oubliera que la France a été un des derniers pays de l’Union européenne à exécuter ses ressortissants. Depuis le discours historique et courageux de Robert Badinter, nous sommes devenus l’un des pays, on peut le rêver, éternellement abolitionniste. Et ce grâce à l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution, à nos engagements internationaux pays et à la promotion de l’universalisation de cette abolition.
Faire prendre ce risque de condamner à mort des ressortissants français, c’est renoncer à nos engagements car c’est permettre la mise en œuvre extraterritoriale de la peine de mort. Les signataires de la tribune
On le voit, alors que déjà de nombreux étrangers ont été pendus dans les prisons de Bagdad, cette résignation coupable de notre pays n’est que le paroxysme dans l’affaiblissement d’un certain nombre de principes qui structurent notre droit. Cette érosion très visible en matière d’antiterrorisme a déjà été soulignée à de nombreuses reprises par des organisations non gouvernementales, des institutions européennes s’agissant notamment des Français et plus particulièrement des mères et des enfants détenus en Syrie par les forces kurdes. Pour ces derniers, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Défenseur des droits se sont précisément et récemment alarmés des traitements inhumains.
C’est une justice expéditive qui évidemment est et va être mise en œuvre s’agissant de nos ressortissants. Et c’est cette justice d’abattage qui peut conduire demain à leur pendaison. C’est par conséquent doublement insupportable. Bagdad va-t-elle faire fi, ou pas, des souhaits exprimés par la France ? Pour l’instant, l’incertitude est totale.
« Une tache sur le mandat d’Emmanuel Macron »
Des mobilisations très fortes ont pourtant eu lieu par le passé, pour venir en aide à des ressortissants français dans d’autres pays. On pense notamment à la mobilisation pour sauver nos ressortissants condamnés à mort en Indonésie. Il y a eu une mobilisation au plus haut niveau de l’Etat pour sauver une de nos ressortissantes, de ce qui a été présenté comme une grave erreur judiciaire au Mexique. A son retour, elle a été reçue par le président de la République.
Peut-on craindre que l’intensité de cette mobilisation soit moindre s’agissant de ceux qui sont identifiés comme l’expression de la barbarie la plus absolue et comme des ennemis de notre civilisation ? Il est légitime de craindre un traitement de nos ressortissants à géométrie variable. La force du droit réside précisément dans l’universalité de son application qui plus est lorsqu’un droit absolu et indérogeable est en jeu comme le droit à la vie.
On a pris un risque historique qui, s’il se réalisait, laisserait une tache indélébile sur le mandat d’Emmanuel Macron, d’avoir ainsi rendu possible un assassinat légal aujourd’hui banni par la majorité des pays de la planète, à l’exception notamment de l’Arabie saoudite, de l’Irak, de la Chine, des Etats-Unis. Rappelons que l’image de la France, pays des Lumières, pays pionnier, de l’universalisation des droits de l’homme, n’a cessé d’être écornée depuis des années et des décennies. C’est une régression supplémentaire, si le pire arrivait, qui pourrait par mille effets pervers dans le monde entier, nous coûter très cher.
Les signataires de la tribune :
Basile Ader, Arié Alimi, Elise Arfi, Mathilde Arjalliet, Matteo Bonaglia, William Bourdon, Vincent Brengarth, Apolline Cagnat, Chloé Chalot, Christian Charrière-Bournazel, Emmanuel Daoud, Benoit David, Jade Dousselin, Jean-Yves Dupeux, Frédéric Dussort, Léa Forestier, Anis Harabi, Alain Jakubowicz, Raphaël Kempf, Catherine Kratz, Jean-Yves Le Borgne, Henri Leclerc, Amélie Lefebvre, Olivia Lévy, Céline Mokrane, Eric Moutet, Augustin Nicolle, Sophie Obadia, Sabine de Paillerets, Aïnoha Pascual, Martin Pradel, Bertrand Repolt, Martin Reynaud, Sandrine Richer, Olivia Ronen, Christian Saint-Palais, Xavier Sauvignet, Lucie Simon, Jean-Baptiste Soufron, Mario Stasi, Hervé Temime, Henri Thulliez, Emmanuel Tordjman, Yassine Yakouti.