L’autre 11 Septembre : il y a 48 ans, le renversement de Salvador Allende


Extrait du livre L’Équipe de choc de la CIA, Le Temps des cerises d'Hernando Calvo Ospina relayé par Les Crises

Il y a 47 ans, le renversement d’Allende

Le 11 septembre 1973, Salvador Allende, président démocratiquement élu du Chili, mourait pendant un coup d’Etat militaire ourdi et financé depuis les Etats-unis.

La répression fit 3 800 morts ou disparus (évaluation minimale) et plus de 37 000 torturés. Des centaines de milliers de Chiliens furent contraints à l’exil. Une aube noire se leva sur le Chili de Pinochet.

Le 11 septembre 2001, l’attentat contre le World Trade Center à New-York fit 2992 morts (en comptant les 19 pirates de l’air) selon les chiffres officiels du rapport de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis. Il s’ensuivit une aube noire pour l’Afghanistan et l’Irak où périrent des centaines de milliers de citoyens, hommes, femmes enfants.

En 1961, dès qu’il prit possession du pouvoir, le président Kennedy nomma un comité chargé des élections qui se dérouleraient au Chili trois ans plus tard. Selon l’enquête d’une Commission du Sénat[1], il était composé de hauts responsables du Département d’Etat, de la Maison Blanche et de la CIA. Ce comité fut reproduit à l’ambassade étasunienne de Santiago. Empêcher que le candidat socialiste Salvador Allende ne gagne les élections en était l’objectif.

Allende était un marxiste, convaincu qu’on pouvait arriver au gouvernement par la voie pacifique et à partir de là, renverser les structures de l’Etat au bénéfice des majorités pauvres. Il disait que pour arriver à un tel but, on devait nationaliser les grandes industries, celles qui étaient aux mains des Etats-Unis, en priorité, car c’étaient elles qui exploitaient les ressources stratégiques. Ces idées, et d’autres idéaux sociaux, le rendirent indésirable aux yeux de Washington : il pouvait devenir un exemple pour les peuples d’autres nations latino-américaines.

Afin de lui barrer la route, des millions de dollars furent distribués aux partis politiques du centre et de droite afin qu’ils fassent leur propagande. Au moment d’élire le candidat à la présidence, Washington se décida à appuyer Eduardo Frei du parti démocrate chrétien, et imposa aux autres partis qu’il avait financés, de s’aligner sur cet homme politique. Au total, l’opération coûta quelque vingt millions de dollars, une somme si importante pour l’époque qu’on peut seulement la comparer avec ce qui avait été dépensé dans les élections étasuniennes. En effet, Washington n’investit pas seulement sur le candidat Frei, mais aussi sur toute une campagne stratégique de propagande anticommuniste à long terme.

La Commission du Sénat dit : « De nombreux supports furent exploités : presse, radio, films, tracts, dépliants, envois postaux, banderoles, peintures murales. » La Commission reconnaît que par l’intermédiaire de ses partis et de diverses organisations sociales, la CIA réalisa « une campagne alarmiste », dans laquelle la principale cible furent les femmes, à qui l’on affirmait que les soviétiques et les cubains viendraient enlever leurs enfants. Des affiches distribuées massivement montraient des enfants portant la marque de la faucille et du marteau estampillée sur le front. La tradition religieuse aussi fut exploitée au maximum afin d’inspirer la crainte du « communisme athée et impie ».

L’opération psychologique fonctionna au-delà de toutes les espérances : Frei obtint 56% du vote populaire, Allende 39%. Selon la Commission du Sénat, la CIA affirmait que « la campagne d’effroi anticommuniste avait été la plus efficace de toutes les activités entreprises. »

Ce fut une opération psychologique, avec les caractéristiques d’une guerre, dont la base était les plans appliqués au Guatemala et ayant amené au renversement du président Jacobo Arbenz, en juin 1954. Une opération qui, au Chili, ne fut pas démantelée avec le triomphe de Frei car, malgré tout, le nombre de voix remportées par Allende fut élevé. Et le vaincu avait toutes les intentions de se représenter aux futures élections.

Dans ses Mémoires, William “Bill” Colby, chef de la CIA de 1973 à 1976, raconte que lors de l’élection présidentielle de 1970 au Chili « la CIA se vit enjoindre de diriger tous ses efforts contre le marxiste Allende, contre la candidature duquel elle fut chargée d’organiser une vaste campagne de propagande.” ». Selon cet ancien patron de la CIA, l’opération s’appelait « Deuxième Voie ».

Henry Kissinger, alors conseiller à la Sécurité Nationale du président Richard Nixon, déclara pendant une réunion du Conseil national de sécurité sur le Chili, le 27 juin 1970 : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester sans rien faire pendant qu’un pays sombre dans le communisme à cause de l’irresponsabilité de son peuple. »  Ce qui signifie que la décision souveraine d’un peuple ne serait pas valable si elle n’était pas en concordance avec les intérêts étasuniens. Lors de cette même réunion, on décida de rajouter 300 000 dollars à l’opération de propagande qui était déjà menée.

Selon la Commission Church, Richard Helms, promu patron de la CIA en 1966, envoya deux officiers qu’il connaissait depuis les premiers préparatifs d’invasion de Cuba. Ceux-ci, spécialistes de la guerre psychologique et de la désinformation avaient fait partie des plus hauts responsables des opérations au Guatemala : David Atlee Phillips, et David Sánchez Morales, de retour d’Indochine. La désinformation continuait de faire partie des activités principales contre le candidat Allende. La Commission du Sénat dit qu’un des mots d’ordre de la campagne était : « La victoire d’Allende signifie la violence et la répression stalinienne. »

Mais le 4 septembre 1970, Salvador Allende remporta les élections. Colby rapporte que « Nixon entra dans une grande fureur. Il était convaincu que la victoire d’Allende faisait passer le Chili dans le camp de la révolution castriste et anti-américaine, et que le reste de l’Amérique Latine ne tarderait pas à suivre. » L’ancien patron de la CIA se rappelle que le président convoqua Helms, « et il lui ordonna très clairement d’empêcher Allende de prendre ses fonctions. » Nixon chargea Kissinger de lui communiquer un suivi précis du complot.

Il restait une possibilité d’éviter qu’Allende prenne le pouvoir. Le Congrès chilien devait se réunir le 24 octobre pour choisir entre Allende et Jorge Alessandri, du Parti conservateur, arrivé en deuxième position, car Allende n’avait pas obtenu la majorité absolue. C’est qu’une partie de la gauche s’était divisée, non seulement à cause de la campagne médiatique, mais aussi du fait de l’argent que la CIA avait réussi à injecter dans quelques groupes.

Exécutant l’ordre, Helms envoya « un groupe de travail » qui se livra « à une activité frénétique » pendant six semaines, relata Colby. Atlee Phillips et Sánchez Morales étaient toujours hauts responsables du nouveau complot. Les dollars affluèrent massivement, mais dans une nouvelle direction maintenant. On essaya d’acheter le vote de certains congressistes pour qu’ils se prononcent contre sa victoire. Mais cela ne donna aucun résultat : Allende fut nommé président du Chili.

Les efforts prirent donc une nouvelle orientation, sans toutefois laisser de côté la campagne de propagande contre Allende. Colby dit que les agents prirent contact avec des responsables politiques et militaires pour sélectionner ceux qui pourraient être prêts à contrer Allende, « et déterminer avec eux l’aide financière, les armes et le matériel qui pourraient s’avérer nécessaires pour [lui] barrer (…) la route de la présidence ».

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